vendredi 24 décembre 2010

Joyeux Noël!

Bonjour à vous tous et toutes, lecteurs et lectrices de vieille comme de nouvelle mouture.

Je vous offre ce petit cadeau, ces Contes pour Noël pas racontables, pour vous remercier de me lire et même de me relire. Grâce à vous, je sais que je n'écris pas pour mes tiroirs.

Ces contes n'apparaissent pas en ordre chronologique. En fait, il n'y a pas d'ordre, comme d'habitude. Vous prenez ce que vous voulez au moment qui vous convient le mieux.

À votre droite, il y a un petit menu déroulant qui vous permet de sélectionner chaque conte, titre par titre.

Vous pouvez bien sûr laisser vos commentaires, sauf si vous m'envoyez chier.

Mon blogue régulier vous attend au retour des Fêtes.

Joyeux Noël!

POUR TOUS CEUX ET CELLES QUI NE CROIENT PAS AU PÈRE NOËL

Vous avez vu la gueule du Père Noël? C'est l'un des avatars de Zeus, Jupiter et Sérapis. Père Noël qui fait revivre le paganisme et oublier Jésus. À quoi bon la crèche, le boeuf et l'âne? Le peuple a choisi Père Noël comme de tout temps il a choisi le dieu barbu. Même Michel-Ange ne fit rien d'autre que de peindre le Père Noël quand il vint pour représenter Dieu dans la fameuse chapelle Sixtine. Il a peint Zeus peut-être sans le savoir. Ce qui fait que le christianisme est disparu autour de 2012 pour ceux qui ont eu accès aux Livres.

Quoi qu'il en soit Père Noël était là pour rester. Ce sont plutôt ceux et celles qui ne croient pas en lui qui devaient fatalement partir. Des temples à Père Noël s'élevèrent partout dans le monde, de Toronto jusqu'à Alexandrie. Un nouveau culte rappelant celui des grecs et des romains prit forme. Ce fût le retour de Zeus-Jupiter-Sérapis sous la figure de Père Noël. On le célébrait quatre fois l'an, aux changements de saison. Et tout devait passer par Lui ou ses Lutins. Toute forme d'incrédulité face à Père Noël était pourchassée par les Lutins, bien entendu. Les coupables passaient de mauvais quarts d'heure et on leur confiait des travaux dégueulasses avec la chaine et le boulet aux pieds.

J'écris ces mots en l'an de grâce 2154 de l'ère noëllienne. Peu de gens savent qui est Jésus, Zeus, Jupiter et Sérapis. Sinon ceux qui ont lu les Livres, comme moi et si peu d'autres, puisque plus personne n'a réellement besoin de savoir lire avec les nouvelles technologies télépathiques. Très peu réussissent à s'ériger des barrières psychologiques suffisamment fortes pour résister aux pressions des Lutins du Père Noël, jeunes miliciens élevés très tôt à vouer un culte à Père Noël et à le servir dans ces sales besognes.

Pour me prémunir des Lutins, je lis autant que faire se peut les Livres que Père Noël refuse de nous faire lire, sachant trop bien qu'on y découvrirait toute l'absurdité de ce mythe, corollaire d'une révolution qui mettrait fin à son régime despotique et redonnerait la parole au peuple.

Nous sommes trop peu à ne pas croire en Père Noël et ses serviles Lutins. Nous nous réunissons dans les catacombes de cette culture grotesque tous les vingt-cinq décembre pour nous recueillir dans le silence, histoire de trouver la force et la détermination pour mettre fin au mythe de Père Noël.

Non, le Père Noël n'existe pas!

Vive la liberté de penser!

Vive la liberté de ne pas croire!

S'ils découvrent ça, je suis cuit. Lisez vite ce billet et détruisez-le. Je ne veux pas finir dans un camp du Royaume du Père Noël, dans le Nord du l'ancien Canada ou bien en Nouvelle-Sibérie. Je grelotte. J'ai trop froid aux doigts. Etc.

UN CONTE DE NOËL PAS RACONTABLE

Ça se passait le 25 décembre, évidemment. En quelle année? Alors ça, je ne le sais plus. Je me souviens seulement qu'une neige fine était tombée pendant le réveillon. Cela conférait à ce matin de Noël un air de féérie. Ce décor urbain généralement fade et sans goût était magnifié par des tons de blanc et de bleu très très pâle.

Le soleil perçait au-dessus de la brume qui s'élevait de la voie maritime du fleuve Magtogoek (anciennement Saint-Laurent). La neige soulevée par la bise scintillait comme des tas de petits miroirs réfléchissant des tons de jaune pâle et d'orangé, que je crois propre à ma vision de daltonien. J'obtiens une note de 0 sur 16 pour le vert. Il me reste surtout les couleurs primaires: le bleu, le jaune et le rouge. Quand je décris les couleurs, je sais que ce sont pas celles que tout le monde voit. Par contre, je ne vous raconterai jamais un gazon vert. Ce qui fait que les contes de Noël sont à la pleine mesure de mon intelligence des couleurs.

Doncques, je déambulais sur les trottoirs qui n'étaient heureusement pas encore déneigés, ce qui permettait de me rendre compte que les piétons et les daltoniens se font rares le jour de Noël.

D'une digression à l'autre mon cerveau se concentrait sur le vide, encore que je sifflais probablement une chanson de Noël parce que je suis un gros con influençable.

Tout allait bien, c'était merveilleux et tout le saint-frusquin.

Mais voilà qu'un barbu avec une calotte de trucker m'aborde. C'est un bonhomme dans la cinquantaine qui ressemble à Capitaine Haddock comme je ressemble à Shrek avec des cheveux. Une légère dissemblance. Mettons que je suis plus beau que ça. Enfin, Capitaine Haddock me tombe dessus comme si l'on se connaissait depuis Adam et Ève.

-Tabarnak! qu'il me dit sans plus de préambule. Y'est sept heures et demie du matin pis v'là qu'mon propriétaire bûche dans 'es escaliers en face d'la f'nêtre de ma chambre pour m'réveiller saint-cibouère-de-calice! Check-lé bûcher dans 'es escaliers c'te vieux christ-là! Juste icitte, hostie, le jour de Noël saint-chrême!

Capitaine Haddock me pointe du doigt son proprio qui déglace rageusement ses escaliers avec une petite pelle de fer. Bing, bang, bang, le proprio bûche en saint-chrême, effectivement, pour un 25 de décembre.

-Sûr qu'i' l'fait exprès le vieux sacrament! Juste pour me faire chier! Après ça, i' vont dire que j'mets 'a musique trop fort chez-nous e'l'soir quand je r'viens d'ma tournée des bars... Ben qu'i' mangent d'la marde! Moé j'paye mon loyer pis j'veux du service pis du respect saint-christ-de-tabarnak! Do you feel like we dooooo? qu'il chante pour conclure.

Qu'est-ce que je lui ai répondu? Franchement, que répondriez-vous à un hostie de trèfle comme lui?

-Bon, ben, Joyeux Noël tout d'même, m'sieur! que j'ai dû lui dire.

-Ouin, ben, toé 'ssi. Moé, c'est Henri. Henri Grenon. J'suis un fan de Peter Frampton.

-Moé c'est Guétan. Guétan Bouchard...

-Ah oui? Le patineur de vitesse? Ha! Ha!

-Non, lui c'était Guétan Boucher.

-Ah. En tous 'es cas, bonne journée mon Guétan!

-Toé 'ssi Henri.

Henri a poursuivi son chemin et moi le mien.

Le proprio qui bûchait dans les marches de l'escalier me regarda de travers quand je suis passé devant lui. Il m'a  fait une hostie d'face de pitbull et n'a pas répondu à mes salutations ni à mon joyeux Noël.

Je ne lui en ai pas voulu. À sa place j'aurai fait comme lui avec ce voisin désagréable qui se permettait de réveiller tout le monde au milieu de la nuit avec sa musique de brosseux. J'aurais déglacé l'escalier avec un pic à glace pour le sortir de sa torpeur, le tabarnak, quand y'a du monde qui travaille le matin, même le matin de Noël, et qui veulent dormir saint-étol-d'hostie!

Je sais, je sais. Il y a beaucoup trop de sacres dans tout ce que j'écris. Est-ce de ma faute si j'écris ce que j'entends? Je ne suis pas greffier, sacrament, mais écrivain. Et pas nécessairement le plus brillant de ma guilde.

Allez en paix, mes frères et soeurs. Et respectez vos voisins tabarnak. Peter Frampton tous les soirs, à trois heures du matin, ça n'a pas de calice de bon sens.

LE TEMPS ÉTAIT UN PEU FRISQUET


La nuit était tombée sur le pays de la nation Crie. Les Iyéyous, les «vrais humains» comme ils s'appellent entre eux, pouvaient dormir à poings fermés ou jouer à leurs jeux vidéos préférés, là-bas à Moose Factory, Chisasibi, Eastmain, Waskaganish, Chibougamau. Ah! C'est que les Cris n'étaient plus ce qu'ils étaient, selon le vieux Tom.

-Wachiya! Ta-n(i)si ! qu'il disait ce soir-là dans son cibi à son cousin William, trappeur du lot jouxtant le sien, un vieux Cri, lui aussi, ce William, tout fin seul dans sa cabane en panneau de bois contreplaqué à mener la vie comme d'autres la menèrent bien avant eux.

Ces deux-là, Tom et William, c'était vraiment des irréductibles du mode de vie traditionnel. Ils passaient trois semaines dans le temps des Fêtes à Chisasibi et y revenaient vers le mois d'avril, jusqu'en août, le temps que les bois ne soient plus infestés de maringouins et de mouches noires. Ils avaient tous deux le même âge. Soixante-dix-sept ans. Et au lieu de crever dans un foyer, ils préfèraient finir leurs jours dans le bois et si possible y crever un jour.

-Monana'ntow. Ki-n'a ma'ka? répondit William, seul comme un Cri dans sa cabane remplie de provisions pour l'hiver et dotée d'une bonne guitare. La guitare pour qu'il puisse fredonner quelques airs cris de sa composition sur des accords pas trop difficiles.

Ils détestaient tous deux tout ce temps encabanés en communauté à Chisasibi, l'été et dans le temps des Fêtes. Ils se sentaient moins prisonniers dans leurs petites cabanes ou leurs mitogans, plantés ça et là pour la chasse, la pêche ou la trappe.

Ils étaient heureux d'être dans le bois, parmi les loups et les lagopèdes.

-Kisina-w... rajouta Tom.

Y'avait rien d'autre à rajouter en fait.

La nuit était froide et il neigeait.

LE REEL DES P’TITES PATATES


Le reel des p'tites patates c'est le reel des reels pour Gédéon Baril et quand vient le temps des Fêtes il jubile à l'idée qu'il pourra le jouer devant tout le monde comme il le fait tous les ans depuis quatre-vingts ans bien sonnés.

Le reel des p'tites patates, Gédéon l'a appris de son grand-père, Théosphase Baril, qui l'avait lui-même appris de son grand-père Checagou, un Algonquin aussi surnommé Oignon-Sauvage.

Gédéon a maintenant quatre-vingt-douze ans. Il est petit, un peu bossu mais entêté comme un Paganini. C'est le quatre-vingtième Noël qu'il va jouer le reel des p'tites patates sur son violon toujours désaccordé.

En quatre-vingts ans, Gédéon n'a jamais été capable de vraiment accorder son violon.
Gédéon a toujours joué faux. Jamais un son harmonieux n'est sorti de son instrument, sinon un vulgaire couinement qui ne l'empêcha jamais de persister dans sa passion. Ce qui fait qu'il vécut presque toute sa vie en retrait, dans le fin fond du rang des Bretelles-à-Méo, à Saint-Athanase-de-Brandon. L'hiver, on ne déneige pas dans ce rang-là. Et l'été, le facteur ne sait pas où ça se trouve.

Suite à son dernier pontage, Gédéon vit maintenant au Foyer Le Sourire, au village, sur la rue principale, juste à côté de la pharmacie.

Gédéon est nerveux. Il va jouer à une heure et demie, cet après-midi, dans la salle de bingo.

-Allez-vous jouer Le reel des p'tites patates comme l'an passé? lui demande justement l'infirmière, Rachelle, une belle madame gentille avec les p'tits vieux.

-Çartain! de répondre Gédéon en lui montrant son violon qu'il nettoie minutieusement pour sa prestation qui commence dans quelques minutes.

Une dernière cigarette. Le coeur de Gédéon pompe à tout rompre. Il se remémore les temps forts du reel des p'tites patates, une dernière fois, avant que de leur livrer la prestation de sa vie.

Une heure et demie. Louis, le préposé, vient chercher Gédéon et l'emmène en chaise roulante à la salle de bingo où tout le monde est réuni pour un petit party de Noël entre intimes. Mademoiselle Blanche est là et lance un sourire à Gédéon qui le lui renvoie. Monsieur Hudon est là aussi, avec de la glaire sur ses pantalons, comme d'habitude. Tout le monde y est quoi.

C'est Rachel qui fait la présentation.

-Et maintenant, mesdames et messieurs, écoutons tous Le reel des p'tites patates interprété par le violon de Monsieur Gédéon Jidi Baril!

-Enwèye Jidi! de hurler Mademoiselle Blanche.

Et là Gédéon laisse glisser son archet comme s'il découpait des tomates avec une lame extrêmement tranchante. Et pour une fois, le voilà qu'il joue juste. Ce n'est plus Le reel des p'tites patates qu'il sue de peine et de misère à jouer depuis tant d'années. Oh que non! C'est le vrai reel des p'tites patates, celui qu'il avait appris de son grand-père, Théosphase Baril, qui l'avait lui-même appris de Oignon-Sauvage, alias Checagou, son grand-père algonquin.

Et son reel s'étend dans le temps. Et c'était comme si le feu avait pris dans la salle. Tout le monde sautait, trépignait, giguait. Pour une fois, Jidi jouait juste. Pour une fois, on y croyait presque à son foutu reel des p'tites patates.

Il donna son dernier coup d'archet, salua comme un artiste et se retira la tête bien plus haute que jamais elle ne l'avait été auparavant. Il avait joué juste. Et il était ému, Jidi. Ému d'avoir aussi bien joué son reel des p'tites patates...

LA VRAIE HISTOIRE DU PÈRE NOËL

Le Père Noël, c'était le surnom de Léon Noël à l'usine. Et pas seulement à l'usine, mais aussi dans sa famille, aux parties de quilles et au dépanneur.


-Sais-tu c'est qui lui? se disait tout un chacun en lançant des regards complices à gauche et à droite.


-Non? C'est qui qu'il est lui don'-là?


-Lui? Voyons! Tout l'monde sait ben que c'est l'Père Noël, Léon Noël, ha, ha, c'est un bon jack qui travaille à 'a shop de Ti-Dré Labonté, au Cap, y'où'sse qu'i' font d'aluminomme pis des canettes.


-Ah. Pis i' s'appelle Noël, hein?


-Ben c'est ça qu'i' est l'pire.


-E'l'Père Noël, hostie!!! Est bonne, hein?


-Ouan.



***



Le Père Noël ne pouvait même pas s'enlever ce surnom à la maison. Ça se gaussait de lui comme s'il ne comptait pour rien.


-Ha! Ha! Léon e'l'Père Noël! Ha! Ha! qu'i' disaient les saint-sacraments.


-Èye! Vous pourriez-ti pas jusse m'appeler Léon des fois, hein?


Ben non, ils l'appelaient tous le Père Noël, sa femme et ses huit enfants, trois gars, cinq filles.

Même le chien semblait l'appeler le Père Noël.


Et le lendemain, à l'usine d'aluminomme, c'était pareil. Ça recommençait. Père Noël parci et Père Noël parlà. De quoi mettre son homme en tabarnak.


***


Il neigeait cette nuit-là et quand il neige la ville est belle.


C'était la nuit de Noël. Eh oui. Et Léon Noël en avait son voyage de son surnom.


Il choisit cette belle nuit de Noël pour mettre un terme à cette fâcheuse manie qu'avaient les gens de l'appeler Père Noël.


-C'est fini! Calice que c'est fini! qu'il disait alors qu'il montait sur le toit de sa maison pour déplier une toile jaune fluo marquée de grosses lettres noires en caractères Arial gras: JE M'APPELLE LÉON THE BRAIN NOËL TENEZ-VOUS LE POUR DIT!


Ça jurait dans le décor mais c'était bien droit et les lumières de Noël étincellaient quoi.


-Y'est rendu fou calice! trouva à dire sa femme.


-Pa, demanda Natacha, la plus petite, Pa i' veut qu'on l'appelle Léon The Brain Noël? Pourquoi m'man?


Franchement, il n'y avait rien à redire. Le gars était juste écoeuré de s'faire appeler Père Noël bicozze son vrai nom, Léon Noël. I' s'est tanné. Ben entendu. Pis d'mandez-moé pas c'qu'i' est devenu. Ça, je l'sais pas.

LA BEAUTÉ EST ÉPHÉMÈRE


La beauté est un besoin tout aussi viscéral que le manger et le boire. Évidemment, il n’est pas donné à tout le monde de le comprendre. Ceux qui ont faim et soif finissent généralement par concentrer toutes leurs pensées sur leur estomac. Mais les autres, qui peuvent aussi avoir faim et soif à l’occasion, en viennent tout de même à faire de la beauté un besoin qui touche tout autant aux viscères. « Qui prend aux tripes » comme on dit.

Réjean avait besoin de beauté et le mois de novembre, si triste avec ses arbres dénudés, s’y prêtait tout à fait.

-Ça, j’suis sûr que ça va ramener d’l’espoir dans ‘a maisonnée!

« Ça », c’était une grosse boîte qu’il n’était pas si facile d’embarquer dans la valise du taxi.

-Qu’est-cé « ça »? demanda Francine, la conjointe de Réjean, quand elle le vit sortir du taxi avec sa grosse boîte qu’il peinait à ramener vers le logis.

-Comment ça va mon amour? répondit malicieusement Réjean tout en rentrant la boîte.

-Ça va, ça va… Mais veux-tu bien m’dire qu’est-cé ça c’te grosse boîte-là?

-Ça, bébé, c’est d’la beauté… la magie de Noël!

Et la magie de Noël, c’était une énorme masse de plastique rouge et blanche qu’il suffisait de gonfler pour qu’elle se transforme en superbe décoration de Noël : un bonhomme de neige dans une bulle qui reçoit des morceaux de styromousse en pleine gueule comme s’il neigeait, grâce à un procédé ingénieux qu’il serait fastidieux de vous expliquer ici. Disons seulement qu’on en voit un peu partout de ces grosses boules de Noël et autres bidules gonflables du Temps des Fêtes : Père Noël, Fée des Étoiles, lutins et autres rennes au nez rouge.

-Wow! C’est une grosse boule ça! ajouta Francine quand le bidule fût gonflé et installé sur le perron avant par une belle journée ensoleillée de la mi-novembre.

-Nos voisins vont nous envier! poursuivit Réjean. Regarde comme c’est beau!

En fait, personne ne les envia et presque tout le monde trouva que c’était de mauvais goût. «

Ça fait béesse! » prétendirent quelques drôles.

Les jours et les semaines passèrent. Francine et Réjean finirent par se chicaner à propos de la boule géante. Elle avait coûté trop cher pour rien, aux dires de Francine, et tout ce bel argent aurait dû être investi dans la nourriture plutôt que dans la décoration.

-C’est toujours comme ça Réjean! hurla Francine par un jour pluvieux de la mi-décembre.
T’achètes toutes sortes de cochonneries pour rien pis après il ne nous reste plus rien à manger! Ça s’mange pas une boule gonflable tabarnak!

-Toé, hurla Réjean, tu penses ben rien qu’à manger! Faut qu’la vie soye belle un peu me semble!

-Tiens! Calice! M’a t’la péter ta bulle! cria de plus belle sa conjointe en plantant une paire de ciseaux dans la toile de plastique, ce qui eut pour effet immédiat de faire fondre le bonhomme de neige artificiel.

-Ah oui? Puisque c’est comme ça, je m’en vais! Je te quitte! cria Réjean, dépité devant tout ça.

Les jours passèrent. Et les camions de déménagement aussi. Tant et si bien que le logement de Francine et Réjean devint complètement vide le 21 décembre, à quelques jours de Noël.
Tout avait été ramassé, sauf la bulle dégonflée, sale et poussiéreuse, qui s’était lamentablement échouée sur le perron parmi d’autres détritus.

La beauté, voyez-vous, est toujours éphémère.

LA NOËL DE LEBOEUF EN 1889


Ça se passait la veille de la Noël de dix huit cent quatre-vingt-neuf, quelque part dans le bas du rang des vieilles filles allongées, entre le rang des grands brûlés et le rang St-Joseph.

Leboeuf, c'était un mécréant, comme de raison, et il ne voulait pas aller à la messe de minuit parce que c'était un gars d'même, un gars qui se moquait du Bon Dieu et qui buvait pas mal en plus.


Ça fait que la Noël arrive. Leboeuf, bien à son affaire, gras dur, prospère sur sa terre de trente arpents, liseur de journaux de Montréal et de gazettes des Vieux Pays, libre-penseur comme il dit pour ne pas dire qu'il était rien qu'un saoulon, Leboeuf, eh bien il avait déjà commencé à y aller pas mal fort sur sa bouteille de gin.


-Hostie que ça fait du ben! qu'il disait la veille de Noël, imaginez-vous don', en buvant du fort. Tabarnak que ça s'prend ben du gin à 'a veille d'la Nouëlle! Pis calice de christ qu'i' s'attendent pas à c'que j'aille me pointer e'l'nez à leu' sacrement d'messe de minuit! Dieu pis Santa Claus qui vient porter des jouets aux enfants, ça fait longtemps qu'j'ai compris qu'c'est des fables calice!


Leboeuf blasphémait, sacrait et buvait comme un animal. Et pendant ce temps, tous les bons chrétiens de Saint-Isidore-des-Lamentations s'en allaient à la bonne vieille messe de minuit pour réciter leurs patenostres et autres fariboles sur des airs d'orgues des temps apocalyptiques. Les anges étaient dans les campagnes. C'était les Grenon qui avaient été retenus pour personnifier toute la bande rassemblée dans la crèche: Marie, Jésus, Joseph et tous les ânes. Hosannah au plus haut des cieux!


Évidemment, Leboeuf était le sujet de conversation de toute la paroisse. Leboeuf ne viendrait pas à la messe de minuit!!!


Pauvre madame Leboeuf! Une femme si pieuse... qui avait enfanté d'un tel impie, trop intelligent, toujours en train de lire à se rendre fou et à se renseigner sur tout, un spécimen d'incrédulité, de scepticisme et d'athéisme déguisé en paganisme!


Et pauvre monsieur Leboeuf! Travaillant comme dix. Jamais un mot plus haut que l'autre. Toujours prêt à réparer le toit du presbytère pour trois fois rien! Et un tel fils... Riche, oui, mais si traître envers Dieu et notre Sainte Mère l'Église!


Oui, le malheur avait frappé la famille Leboeuf. Il avait fallu que ce soit ces bons catholiques romains qui écopent d'un fils tenté par tous les diables qui sacrait comme un déchaîné et disait même que Dieu n'existait pas!


-C'est dans vos têtes hostie! Vous êtes mêlés! qu'il leur disait à tous, tout le temps, n'importe où.


Mais cette veille de la Noël de dix huit cent quatre-vingt-neuf, alors que résonnaient les douze coups de minuits du clocher de la paroisse de Saint-Isidore-des-Lamentations, voilà que se fit entendre de grands coups de cannes à pommeau d'or sur la porte de la demeure du fils mécréant des Leboeuf.


Et vous savez qui c'était, n'est-ce pas? Le Diable lui-même, tiré à quatre épingles comme c'est devenu son habitude. Il s'était parfumé à l'eau de Cologne, le sagouin, et parlait avec un léger accent parisien tout à fait insupportable.


-Monsieur Leboeuf! hurla le Diable. Je suis le Diable! Ouvrez la porte je vous en prie! Je viens vous faire signer un contrat!


Il voulait lui acheter sa terre, le tabarnak. La terre de Leboeuf. À minuit pile, le jour de Noël. On a beau être athée qu'il y a des choses qui ne se font pas.


Leboeuf lui ouvrit la porte et, tout nu sous sa chemise de nuit tachée de vin rouge, il se mit à l'insulter vertement.


-Que tu soyes le Diable ou son beau-frère veux-tu ben m'calisser 'a paix tabarnak? E'j'vendrai pas ma terre hier ou après-demain, pis encore moins à minuit pile e'l'jour d'la Noël! Calice ton camp d'icitte! Crisse-moé la paix!


Le Diable, dépité, rebroussa chemin vers une autre maison où il semblait y avoir plus de gens et plus de lumière aussi. Cette nuit-là, un vieux mourut d'un infarctus dans cette maison et c'est sûrement parce que le Diable y joua quelques airs de violon de son cru, dont sa célèbre gigue du pied cornu.


Pour le reste, Leboeuf s'en tira bien cette fois-ci, comme les années précédentes, comme quoi la chance sourit parfois aux ivrognes en dépit de tous les bons enseignements du catéchisme.


Que voulez-vous! Notre royaume n'est pas toujours de ce monde...

RIEN DANS L'OEIL À LA VEILLE DE NOËL


Une neige folle tombait sur la ville endormie.

Une ombre massive se lovait sur cette neige qui formait au sol un blanc édredon.

Tout au bout de cette ombre s'élevait une créature simiesque recouverte de vêtements laids et bon marché, dont un vieux manteau de fourrure miteux de femme aux manches coupées. Le visage qui sortait de cette boule de poils n'était pas beau. C'était celui d'un hostie de perdu comme il y en a tant au centre-ville, un vieux christ de cave d'ivrogne, vieux et laid, puant, rebutant, ignorant, couinant, bref solitaire.

On ne lui connaissait pas de nom ni d'ami. C'était cette vieille chose qui marchait dans les rues du centre-ville, été comme hiver, avec un manteau de fourrure de femme aux manches coupées qui lui conférait un air préhistorique, un air soutenu par le fait que tout ce qui sortait de sa bouche était à peine audible. Et couinant, comme il a été dit plus haut.

-Ronk! ...pas... hee... guoui... deux...

Le vieux avait une araignée dans le plafond. La neige tombait. Et il était une ombre qui se lovait sur le blanc manteau de neige, avec son hostie de manteau de fourrure de femme aux manches coupées.

C'était la veille de Noël. Le gros christ de fucké se parlait à lui-même.

-Ronk! ...pas... hee... guoui... un... couinait-il.

Et là, comme je les croisais, lui et son ombre, j'ai vu dans son oeil quelque chose comme le vide. Je vous jure: rien. J'essayais de me faire accroire qu'il y avait un destin tragique, que c'était un ancien professeur de philosophie devenu fou, que sa femme et ses enfants étaient morts noyés, n'importe quoi pour me rendre ce vieux christ sympathique, eh bien non, il n'y avait rien. Je sentais que la vie de cet homme n'avait été qu'un grand rien. C'était pourtant Noël. Et voir le vide, et ne discerner que du néant chez un homme, n'est-ce pas un vice majeur contre toute la chrétienté et ses dépendances?

Il fallait donc que je parle à cette créature pour en finir avec ma déchéance morale et me redonner un peu d'humanité.

-Bonsoir monsieur! que je lui ai dit.

J'ai oublié de dire qu'il n'était pas grand. Il m'arrivait à peine en dessous des aisselles. De sorte qu'il a dû relever la tête pour voir d'où venait ce bonsoir monsieur auquel il n'était visiblement pas accoutumé.

-Ne... mye... oh... Ronk!

Il m'a dit ça sur un ton égal. Et il ne bougeait plus, planté devant moi comme s'il attendait la suite de la conversation.

-Bonsoir monsieur! que je lui ai redit, ne trouvant rien d'autre à redire.

Et vous savez ce qu'il a fait, le vieux puant au crâne chauve, aux sourcils touffus, à l'oeil éteint, aux lèvres pendantes, aux dents cariées, à la barbe de six jours, aux oreilles molles, au dos rond, aux doigts secs et tordus, aux pieds chaussés de bottes de caoutchouc, au... ?
Le vieux n'a rien dit. Il a courbé la tête vers le sol et il a repris sa claudication dans la nuit.
Il a continué son chemin sous la neige folle, avec son manteau de fourrure de femme aux manches coupées.

Son ombre se lovait sur la neige duveteuse qui formait à ses pieds un blanc édredon.
Je n'ai pas réussi à chasser cette image et ça remonte à plus de trois ans.

C'était une vision de ma veille de Noël en 2005.

Et pourtant, rien. Je vous dis qu'il n'y avait rien dans son oeil.

Juste un grand vide.

-Ne... mye... oh... Ronk! couinait-il.

LA VENTOUSE

L.T.E. Incorporé est une entreprise qui produit des coupe-ongles professionnels pour le marché polonais. Plus de huit cents employés y travaillent, dont Nancy. Nancy n'était pas nécessairement laide, mais sa timidité excessive avait fortement marqué ses traits pour y enlever toute forme d'attrait. Elle avait l'air tellement matante, malgré ses vingt-huit ans, qu'on lui donnait l'âge d'aimer la programmation musicale des radios commerciales les plus guimauvesques.

Sauf qu'au premier party de Noël de la compagnie, tout le monde connut une toute autre Nancy... La fille timide est morte ce soir-là. Le papillon est sorti de son cocon et a enfin déployé ses ailes.

Laissez-moi vous raconter.

Nancy a commencé par boire une petite coupe de vin et comme personne ne lui parlait, elle en a bu une deuxième puis une troisième. À la quatrième coupe, elle était capable de dire bonsoir à ses collègues de travail sans trop trembler de timidité, mais n'en conservait pas moins ce petit rire imbécile qui dissimulait mal ses inhabiletés sociales.

-Bonsoir... hihi... haha... Bonsoir... qu'elle disait.

Elle a bu deux ou trois autres coupes et, comme elle ne buvait jamais, ça lui a monté à la tête.

-Bonsoir tabarnak! qu'elle disait à tout un chacun. Bonsoir mes hosties d'têtes d'oeuf de sacrement!

Ça allait de mal en pis. Elle était seule sur la piste de danse et se démenait comme une bacchanale lubrique sous l'oeil nerveux des mâles qui s'émeuvaient pour la première fois de cette timide Nancy qui, avouons-le, avait tout de même des gros totons et un cul de plus en plus invitant.

C'est là que tout s'est mis à dégringoler. Nancy a calé d'un trait plusieurs autres drinks que les mâles malicieux lui tendaient, souhaitant qu'elles tombent entre leurs griffes. Ce qui se produisit une heure plus tard où, saoule raide, Nancy termina son party dans les toilettes des hommes à sucer tous les gars qui le voulaient bien.

-M'a toutte vous sucer mes hosties d'tabarnak! Emmenez vos queues mes calices!

Et là, Nancy suça et suça encore, des queues en veux-tu en v'là. Sans capotes. Le sperme des uns se mélangeant à celui des autres. Et les gars qui venaient de gicler encourageaient les autres en tapant des mains et en criant «Ventouse! Ventouse! Ventouse!»
Ouais. Elle les a tous sucer, sauf moi. Elle a bien voulu me la sucer mais j'ai décliné fermement l'invitation: je n'aime pas abuser des pauvres filles et je déteste les jeux de société.

-M'a en sucer un autre, c'est toutte! Gros pédé!

Je ne me suis pas formalisé de l'insulte. Et Nancy suça Beaudoin, ce gros hostie de Beaudoin qui n'est pas fort sur l'hygiène personnelle. Puis elle suça Tremblay, Marcotte, Girard, Grimard, Lesage, Lepage, N'Guyen et Macpherson. Elle les suça avec rage en les crossant vite. Et ça gicla, oui ça gicla.

Le lendemain du party de Noël de la compagnie, évidemment, Nancy n'était pas rentrée au travail. Elle se souvenait vaguement d'avoir avalé du sperme toute la soirée. Et la sobriété retrouvée lui ramena aussi sa timidité.

Évidemment, ça ne prit pas vingt-quatre heures que tout le monde dans la compagnie était au courant de l'exploit de la Ventouse.

-Une fille si gênée d'habitude! Pis la v'là qui sucent tous les gars dans les toilettes! Les gars qui faisaient la file devant elle en attendant d'se faire sucer! Maudit qu'les hommes sont cochons des fois! disait une bonne partie des commères.

-A' suce en tabarnak man! Oua! disaient les compères. Toute une ventouse, la Ventouse! Oua!

Évidemment, les gars m'ont tous demandé si je ne regrettais pas de ne pas m'être fait sucer, d'autant plus que cela ne coûtait rien. Que vouliez-vous que je dise à ces hosties de cochons? Que j'trouve ça un peu trop proche d'un coming-out, des gars qui se font sucer en meute par la même pauvre fille trop saoule pour s'en rendre compte?

Bien sûr, la Ventouse est finalement revenue au travail mais ce n'était plus la même Nancy. Elle se mit à boire de plus en plus souvent pour combattre sa timidité. De sorte qu'elle devint même aguichante, féminine et sexy, la Ventouse. Certains en tombèrent même amoureux, dont une bonne moitié de ceux qui s'étaient fait sucer par elle le soir du party. Ils lui trouvèrent tout à coup des qualités intellectuelles et un coeur d'or.

-Est correcte man la Ventouse! Tout l'monde la dénigre ben moé je l'aime! J'sortirais ben avec! lâcha le gros Beaudoin lors d'une pause-café entre les gars de l'entrepôt.

-Même si A l'a sucé tout l'monde Beaudoin? répliqua Gervais.

-Même si... Ouais! Elle a d'l'expérience là-d'dans ben plusse que ben d'autres grébiches!

Gros christ de Beaudoin. Il tomberait en amour avec n'importe quoi.

Et il tomba en amour avec la Ventouse. Et il tomba creux. Il se maria même avec elle qui, en moins de deux ans, lui suça tout son patrimoine: maison, auto, tout. Beaudoin se retrouva dans la rue, avec rien que le cul pis les dents.

Gervais subit le même sort. Et Macpherson aussi. La Ventouse était de moins en moins gênée par sa mauvaise réputation et y trouvait même une certaine fierté.

-Les hommes, qu'elle disait, sont tous des porcs. Avant j'me laissais manger la laine su' l'dos.

À c't' heure quand un homme essaie de m'embobiner, j'le vide hostie! J'le vide jusqu'à c'qu'i' lui reste rien qu'son dentier!

La Ventouse vida une autre coupe de vin, ajusta ses nouvelles lunettes à la Sarah Palin, puis elle regarda quel mec était en train de lui reluquer le cul ou les seins.

C'était le sixième party de Noël de la compagnie depuis le fameux exploit de la Ventouse dans les toilettes des hommes. Tous les gars savaient qu'elle était redevenue célibataire. Et ils se collaient tous sur elle, comme une nuée de mouches, à lui donner des drinks, à la complimenter, à lui proposer une nuit dans un chalet ou un voyage dans les pays tropicaux.

Ouais, la Ventouse avait compris qu'il fallait tenir les hommes par le gros bout du bâton et boire avec modération, l'alcool comme le sperme.

Elle n'était plus timide du tout. Elle savait ce qu'elle voulait: vider les hommes, les vider de tout.

Moralité? Il n'y en a pas. Comme d'habitude.

NOËL POUR TOUT LE MONDE

Luc marchait tous les jours, à heures fixes, pour se trouver du travail ou tuer le temps. Du lundi au vendredi, il se faisait refuser partout, au Canadian Tayeure, à la rôtisserie du coin, à la plonge des restos, au Rhona, partout.

Il en vint à penser que son baccalauréat en littérature lui nuisait dans ses démarches en vue d'obtenir un petit boulot. Il enleva donc cette référence de son cévé et se contenta d'écrire qu'il n'avait qu'un diplôme d'études secondaires.

Il enleva aussi toutes références à ses emplois précédents en traduction et rédaction technique. Il ne conserva que les shitty jobs sur son cévé pour se mettre au diapason des nouvelles réalités du marché de l'emploi.

Pourtant, il ne récolta rien de plus. Le problème était ailleurs. Peut-être que la ville où il vivotait ne se méritait pas pour rien le titre peu envié de capitale nationale du chômage au Canada.

Tout allait chez le diable. Trente pourcent de la population de la ville était au chômage. Et on trafiquait les chiffres, évidemment, pour faire baisser le taux de chômage dans les statistiques. Et on baissait la durée des prestations d'assurance-fromage pour la même raison. De sorte qu'il n'y avait plus que 10% de chômage. Et toujours trente pourcent de pauvre monde qui se faisait chier dessus par les politiciens crosseurs et les repus qui votaient pour eux pour que l'on fasse payer les pauvres.

Luc envoyait au moins trente cévés par jour en plus de cogner à toutes les portes pour se faire dire «envoyez-moi votre cévé». Ses traits se creusaient d'une semaine à l'autre et l'automne pluvieux lui conférait un teint pâle, voire maladif, qui rebutait à tous les employeurs. Et c'était sans compter ce sourire ridicule que Luc leur esquissait, un sourire à la dent pourrie, bourrée en permanence d'ibuprofène extra-forte pour engourdir le mal.

Maudite dent sale! Une molaire qui faisait entendre le battement de son coeur en permanence et que Luc oubliait de faire soigner dès qu'il recevait son chèque d'aide sociale parce que lui, sa femme et ses enfants avaient faim. L'épicerie passerait avant la dent. Tout le monde aurait de quoi se mettre sous la dent. Et on reprendrait des forces pour la suite des choses, la marche tous les jours, tôt le matin, à heures fixes, pour se trouver du travail, la dent pourrie bourrée d'ibuprofène.

Luc n'avait pas d'argent pour le dentiste. Il recevait de l'aide sociale depuis deux mois. Cependant, l'aide sociale ne couvrait les soins dentaires qu'après deux ans de végétation.
Aux grands maux les grands remèdes. Luc s'acheta une paire de pince-grippe le 1er décembre, en recevant son chèque d'aide sociale. Et il s'arracha la dent, lui-même, en jouant avec sa dent toute la journée, la pince-grippe dans la gueule, l'ibuprofène pas trop loin. Il réussit à l'extirper de sa gencive juste avant d'aller se coucher, vers dix heures le soir.

Chloque! Elle sortit d'un coup, la vieille molaire pourrie.

Évidemment, Luc s'en réjouit immédiatement. Enfin! Le mal était fini! Ce mal qui empoisonnait son quoditien depuis deux mois. Il n'aurait plus que la pauvreté à combattre!

Les jours qui suivirent, son teint prit du mieux. Luc n'avait plus mal aux dents et ne prenait plus d'ibuprofène. Il mangeait mieux. Il s'était mis à remâcher du côté de sa dent qui lui faisait mal.
Cependant, ses malheurs étaient loin d'être terminés. Il n'avait toujours pas d'emploi et Noël arrivait à grands pas, Noël, les cadeaux qu'il ne pourrait pas faire, la famille qu'il visiterait avec la honte et l'humiliation au coeur, sa blonde qui avait le teint pâle, ses enfants qui mangeaient du pain blanc sans protéines...

Si seulement il avait cru en Dieu, il aurait pu se plaindre à Lui ou bien Le supplier de lui venir en aide. Mais non, Luc affrontait tout ça comme une muette injustice qui lui faisait parfois serrer les poings. Et les airs de Noël jouaient partout. Et les lumières de Noël étincelaient. Et les sapins étaient recouverts de guirlandes. Et les paniers de Noël seraient distribués le 20 décembre, à la banque alimentaire du quartier. De quoi manger un peu mieux que d'habitude mais rien pour faire bombance. Rien pour fêter.

Et c'était justement le 20 décembre. Luc rentra chez-lui avec son panier de Noël, une gracieuseté des bienmunis aux démunis. «Merci! Oh! Merci de me soutenir dans ma pauvreté sale!»

Combien de temps de prison pour un vol de banque? Bah! Pauvre homme, ce Luc, qui va quêter son panier de Noël à la banque alimentaire au lieu de commettre un vol de banque... «Pas assez homme, hein? Nous ne sommes pas assez hommes dans l'quartier?» Luc regardait son panier de Noël et essayait d'avoir l'air heureux avant de rentrer à la maison, pour ne pas enfoncer sa famille dans la déprime. Il s'efforcerait de faire rire tout le monde, sa blonde, ses deux filles et son garçon.

-J'vous l'dis, ça va aller mieux bientôt... J'ai fait un voeu à la fée des dents!

Tout le monde riait jaune. Sa blonde lui frottait le dos l'air de dire, fais-toé z'en pas mon homme, on va s'en sortir. J'sais pas comment. J'sais pas quand. Mais on va s'en sortir...
Ce soir-là, en déballant son panier de Noël, Luc avait beau faire des farces, qu'il avait le motton dans le gorge, une envie de pleurer comme un enfant, une envie qu'il réprimait tant bien que mal, en façade, mais qui lui dévorait l'intérieur encore plus salement qu'un mal de dent.

-Quand est-ce qu'on va s'en sortir? pensa-t-il. On devrait faire une révolution. On devrait tous s'unir, tous les pauvres et tout faire péter ça! Ils nous font manger d'la marde toute l'année pis faudrait leur dire merci? Fuck off! Nous ne sommes rien: soyons tout!
Il délirait. Il reprenait des slogans communistes alors qu'il n'avait aucune estime pour leurs buts et leurs moyens.

-On va pouvoir faire une soupe au chou pour Noël, Bé, que lui dit sa blonde pour le sortir de sa torpeur.

-Hum... Ça va être bon! qu'il lui répondit, en riant jaune.

***

Luc passa toute la nuit à se tourner et retourner dans le lit.

Il avait fait un cauchemar.

Il marchait dans un labyrinthe avec une hache. Tous ceux qui s'amusaient à l'humilier, au jour le jour, étaient à ses trousses, dont la caissière de son institution bancaire qui le regardait toujours d'un air méprisant quand il allait changer son chèque d'aide sociale, à tous les premiers du mois.
Elle et tous les autres avaient de grands dents et menaçaient de le mordre. Luc courrait devant eux, hache en main, prêt à la leur enfoncer dans la gueule s'ils s'approchaient trop de lui.

***

Une fine neige tombait. Une odeur de soupe au chou flottait dans la pièce. Sa blonde était debout depuis quelques temps et avait commencé à cuisiner.

Luc déjeuna rapidement puis alla voir s'il y avait du courrier.
Il y avait deux lettres, une de Revenu Canada et une de Revenu Québec.

-Qu'est-ce que c'est encore? Les tabarnaks! se dit Luc en lui-même.

Il ouvrit la première lettre. C'était un chèque de 758$!

-Mes impôts! Hostie! Mes impôts!

Luc se souvenait tout à coup qu'il avait fait ses impôts il y a quelques mois, des impôts qu'il n'avait pas faits depuis cinq ans, par indifférence totale. Il les avait faits comme on lui avait exigé de les faire. Il inscrivit zéro partout et il posta ses dix rapports d'impôt sans trop se questionner.

-Ils ont les chiffres. Ils compteront à ma place les hosties d'chiens! qu'il s'était dit.

Ce qu'il ne savait pas, c'est que l'impôt lui devait de l'argent. Et beaucoup plus qu'il ne l'eût cru.
Le 758$, ce n'était que pour une seule année. D'autres chèques suivraient. Au fédéral: 758$, 654$, 235$, 376$, 508$. Au provincial: 203$, 328$, 114$, 123$ et 345$.

-Wow! Bé! Viens voir ça!!! Mes impôts!

-Quoi?

-Jette la soupe au chou pourri tabarnak! On va au restaurant Bé!

-Hein?

-J'viens de recevoir presque 1000$ de mes anciens rapports d'impôt! Pis y'a encore du fric qui va rentrer cette semaine! Yahou!!!

***

Pas besoin de vous dire que ce Noël fût magique. Le réfrigérateur et le congélateur étaient pleins. Tout le monde mangea à sa faim. Tous les enfants reçurent un beau cadeau. Et ça dansa. Et ça ria. Et ça s'aima, tout simplement, dans toute cette heureuse maisonnée, heureuse de retrouver sa place au soleil sous la neige fine qui tombait pour faire accroire que le Père Noël existe.

L'année s'achevait sous une belle note.

La nouvelle année ne pourrait qu'être meilleure encore, avec tout ce bel argent dans les poches.

-On va se racheter du linge pis du steak pis du pain brun prébiotique pis du jus d'orange naturel pis un ordi pis un numériseur pis de quoi se r'partir en business...

-Ah oui! Pis on va voyager aussi! Sortir de c'te maudite ville! Améliorer notre sort loin d'icitte!

-Ah oui! Ah oui! Ah ouiiii!

Il y eut comme un flash dans la tête des deux amants. Et une flaque dans le lit.

Tout redevenait possible.

Le Rédempteur avait brisé toutes entraves.

La Terre était libre et le Ciel était ouvert.

Le peuple, debout, allait vers sa délivrance.

Noël! Noël!

Même pour les athées.

Même pour les pauvres.

Noël pour tout le monde.

UN CONTE DE NOËL OÙ LA MORALE EST À GÉOMÉTRIE VARIABLE

Novembre est le plus triste de tous les mois. Décembre est beaucoup plus gai. Parlons du mois de décembre. D'autant plus que l'événement s'est passé en décembre, le jour que les chrétiens appellent Noël.

Ah! Décembre qui redevient pur et lumineux avec les premières neiges. Puis le froid qui s'installe. Les couleurs païennes des fêtes du solstice. Et puis Noël.

Que dire de cette journée? Oh! C'est la naissance du p'tit Jésus. C'est la carte de crédit overload pour payer les cadeaux. Et ce sont les enfants qui rient, pleurent ou ne font rien parce qu'on ne fête pas Noël dans tous les foyers.

Ismaël Atik ne fêtait pas Noël. Enfin, pas au sens où les chrétiens l'entendent. Il n'était pas musulman mais ses parents l'étaient. Essayez d'expliquer ça au juge. Ou bien au clan. Bref, Ismaël terminait son post-doctorat en physique à l'université et vivait pour le moment dans une chambre miteuse du boulevard Saint-Joseph. Ismaël ressemblait un peu à Bob Marley mais avec les cheveux coupés ras. Il se rasait de près, du menton aux cheveux. Et portait de petites lunettes rondes d'intellectuel.

Ismaël vivait dans une maison de chambres. Il partageait une douche et une chiotte avec trois autres ahuris qu'il n'avait jamais vus. Leurs heures d'entrée et de sortie ne concordaient pas.
Sauf ce jour de Noël. Ils se sont enfin vus.

Cet après-midi de Noël, Ismaël avait une forte envie de pisser et chaque fois qu'il venait pour aller aux chiottes il fallait que ce soit toujours occupé.

Aux grands maux les grands remèdes. Ismaël se décida à faire son pipi dehors, du côté de la sortie de secours.

Comme il pissait, Nelson Bonenfant sortit la tête de la fenêtre de sa chambre miteuse, située tout près du jet de pipi. Nelson était un freluquet de soixante ans qui portait une calotte de baseball.

-Tu pisses en tabarnak mon homme! La vessie va t'exploser! lui dit Nestor tout en se présentant et en lui tendant la main.

-J'm'appelle Nelson Bonenfant, pis toé?

Ismaël fût tout de suite saisi. D'abord il pissait à deux ou trois pieds de cette main qui se voulait fraternelle. Et puis c'est un peu mal aisé que de tendre sa dextre à la dextre d'un autre quand on tient sa queue avec. Ce qui fait qu'Ismaël le salua avec sa senestre - sa main gauche au risque de tomber dans un récit didactique.

-J'm'appelle Ismaël. Bonjour monsieur. Désolé de ne pas vous serrer la main!

-Désole-toé pas mon homme! Moé c'est rare que j'me lave les mains après avoir pissé...
Ismaël comprit qu'il avait affaire à un ivrogne. Et puisqu'il ne pratiquait plus la religion de ses parents, il crut qu'il serait poli de ne pas refuser une bonne lampée d'alcool pour célébrer la mémoire du prophète Ioussif alias Jésus.

Il rentra sa bastringue dans son pantalon, rezippa le tout, et prit dans sa senestre la bouteille de gin De Keeper que lui tendait Nelson.

Dix minutes plus tard, il rencontrait son deuxième voisin, Lambert Lafortune, un électricien qui vivait des primes de la CSST depuis qu'il s'était électrocuté sur une ligne à haute tension dans les années '80. Ses amis l'appelaient «Séquelles». Nelson et Ismaël l'appelaient simplement Lambert.

Au bout d'une heure, tout le monde était saoul et les trois allaient pisser dehors, du côté de la sortie de secours, en se passant la bouteille par la fenêtre de la chambre de Nelson. Les chiottes étaient encore occupées. Pas moyen de faire autrement.

-Cou' don' saint-chrême d'hostie! cria Séquelles. Ça fait combien d'heures qui chie l'gros Freaks?

Campbell Freaks était le gus qui s'était enfermé dans les chiottes. C'était un labradorien originaire de Goose Bay, membre du Labrador Party, un parti réclamant que le Labrador se sépare de Terre-Neuve pour devenir une province canadienne, sinon un pays,

Évidemment, il était mort.

Ce qui fait que les trois ivrognes pissaient pour rien dehors.

C'est Nelson qui se décida à défoncer la porte en foutant un coup de pied qui arracha la serrure.

Campbell Freaks était mort étouffé dans ses vomissures. Il avait probablement trop bu. Un exemplaire du Journal de Monrial était déplié sur ses genoux. Campbell Freaks était mort en regardant les images de la section des sports. Son français n'était pas suffisant pour lire le Journal.

-C'est des choses qui arrivent! philosopha Nelson.

-I drink to that! renchérit Lambert.

Quant à Ismaël, il ne dit rien.

Quelqu'un dut appeler la police ou l'ambulance.

Les chiottes étaient enfin libérées.

Plus besoin d'aller pisser dehors sur cette fine neige qui rappelait à toute la chrétienté qu'un Sauveur était né.

LA NOËL DE HERMÉ, FAN DE HERMÈS TRISMÉGISTE

Tout le monde l'appelait Hermé pour ne pas avoir à prononcer plus de deux syllabes par mot. En fait, il s'appelait plutôt Herménégilde Rivard. D'où il venait? Peut-être de Grand-Mère ou de Shawinigan. C'est dur à dire. Tout ce qu'on sait c'est qu'il avait toujours faim même s'il était maigre comme un casseau.
Hermé mangeait ses émotions. Il n'avait pas de ventre, Hermé, juste ce qu'il fallait de peau pour maquiller ses nerfs tendus et ses os noueux.

Hermé aurait pu être beau s'il avait été un peu plus bavard. Comme il ne parlait jamais, il fallait que la femme fasse tout le travail de séduction et à peu près toutes, même les laides, finissaient par se dire qu'il pouvait bien manger d'la marde, Herménégilde Rivard alias Hermé.
Hermé ne parlait que de Hermès Trismégiste, un personnage mythique de l'antiquité associé au dieu égyptien Thot.

À part de ça, Hermé ne travaillait pas. Il glandait en relisant la Table d'émeraude. Il ne vivait en fait que pour l'heure des repas.

Il avait vécu à Montréal, en décembre, l'an passé. Il avait faim. Il avait bouffé son chèque et la banque alimentaire de notre quartier était fermée pour le mois de décembre. On donnerait des paniers de Noël à la place. "Tiens, les pauvres, débrouillez-vous avec ça. Nous fermons en décembre. Le personnel s'en va se relaxer dans le Sud, écoeuré de vous voir la face. Vous reviendrez en janvier, quand vous serez rendus au fond de votre panier de Noël. Trouvez-vous une job sacrament!"

Hermé ne pouvait pas se trouver une job. Il était crissement fucké. Il en faisait peur. Il passait son temps à se taper le front avec un crayon. Vous imaginez ça en entrevue? Vous l'engageriez, vous? Me semble que non...

Donc, Hermé n'avait pas de job. Il ne pouvait plus aller chercher de la bouffe aux Partisans de l'Amour. Il ne lui restait plus qu'à crisser son camp à Montréal où il y a toujours de la bouffe gratuite à y trouver quand on est débrouillard. Des ressources, il y en a toujours bien un petit peu. Et Hermé avait le don de toutes les faire pour s'outrenourrir.
Il mangeait comme un ogre, Hermé, cet indécrottable mendiant ingrat au sens où l'entendait sans doute l'ineffable Léon Bloy.

Oh! Il disait merci, Hermé. Mais il ne se jetait pas par terre pour vous baiser les pieds. Il rotait dans sa main et se redonnait des coups de crayon dans le front: toc, toc, toc... Cognant sur l'araignée de son plafond.

Il a mangé plus qu'à satiété en décembre 2009. Montréal, on a beau dire, ce n'est pas comme cette putain de Trois-Rivières où la faim vous tenaille, où il n'y a que des paniers de Noël à bouffer en décembre, et c'est à en bouffer du carton saint-ciboire d'hostie d'calice!
Hermé était bien content d'être un presqu'itinérant à Montréal. Il squattait dans un vieux hangar abandonné du quartier Rosemont. Et chaque matin il faisait sa tournée des lieux où l'on distribuait de la bouffe gratuitement. Comme il savait lire et écrire, il alla quérir un bottin des ressources communautaires de la ville et il fit sa tournée de pique-assiette-toctoc-coups-d'crayon-dans-l'front avec son guide des tablées les plus gratuites de l'île de Montréal.
Il a mangé en sacrament en décembre 2009. Plus de huit repas par jour parfois s'il faisait ça vite.

Je ne vous raconterai pas comment il a fait ça mais je le crois.

Tout comme je crois son récit à propos de sa Noël de l'an passé.

-Il y avait des repas de Noël partout! J'ai mangé dans toutes les sectes chrétiennes de Montréal: catholiques, protestantes, orthodoxes, évangélistes, luthériens, anglicans... Puis j'ai relu la Table d'émeraude de Hermès Trismégiste... As-tu déjà lu ça, Gaétan, la Table d'émeraude?

Oui, j'avais malheureusement lu ça. Ce qui m'obligeait à entretenir une certaine forme de solidarité avec Hermé et de lui refiler quelques jetons quand je le croisais afin d'apaiser ma culpabilité.

-Merci Gaétan! T'es ben blood... Hermès Trismégiste... Le Poimandrès! Ha! ha!

-Ha! Ha! que j'ai ri poliment. Le Poimandrès!

Et il se redonna des coups de crayon dans le front, Hermé. Toctoctoc. Peut-être qu'il était autiste. Ou bien tout simplement lessivé par le genre de vie qu'on mène.

-Ha! Ha! Ha! qu'il ajouta.

Quoi qu'il en soit Hermé a poursuivi en me racontant sa Noël de l'an passé.

-J'ai beaucoup trop mangé à Noël l'an passé. J'étais à Montréal. J'ai fait huit places où l'on donnait des repas gratuits. J'ai fini à l'hôpital... J'ai fait une indigestion sévère... Une chance que j'avais avec moi la Table d'émeraude de Hermès Trismégiste... J'ai pu la relire six fois sur ma civière, dans un des corridors de l'hôpital... Oyoye! Ha! Ha! Et cette année, je compte bien retourner à Montréal... Les Partisans de l'Amour distribuent leur calice de paniers de Noël et ils seront fermés jusqu'en janvier... J'me vois pas manger juste un ou deux paniers de Noël en décembre... J'vais r'tourner squatter à Montréal. Pis j'va's m'bourrer la bedaine comme i' faut... Comme dirait Hermès Trismégiste, quand la Pythie va tout va... La Pythie! Ha! Ha! La devineresse d'Apollon qui hurlait littéralement ses oracles... Est bonne hein?

-Ha! Ha! que j'ai fait semblant de rire.

Ce matin, j'ai croisé Hermé. Il s'en allait avec son packsac en direction de la bretelle de l'autoroute 55. Il s'était fait une petite pancarte en carton sur laquelle il avait écrit Montréal au crayon feutre.

-J'ai faim. Leur hostie d'panier d'Noël i' peuvent ben se l'crisser dans l'cul! me confia-t-il. Foin des Partisans de l'Amour! J'les trouve pas drôle de fermer pendant un mois! J'mangeais là tous les midis! Même que j'payais en plus! Maudite ville de cheapze qui font payer les mendiants qui ont faim!!! Une piastre et demie calice!!! Bientôt deux piastres!!! Ben i' vont m'perdre! J'vais aller vivre à Montréal, moé, oui monsieur!

Hermé devait probablement avoir sa Table d'émeraude dans son sac. Il se crissait encore des coups de crayon dans l'front. Toctoctoc.

Il ne neigeait pas. Le temps était maussade. La neige avait fondue. Mais il y avait tout de même une petite coloration jaunâtre dans le ciel. Quelque chose comme le prélude d'une belle journée.