vendredi 24 décembre 2010

Joyeux Noël!

Bonjour à vous tous et toutes, lecteurs et lectrices de vieille comme de nouvelle mouture.

Je vous offre ce petit cadeau, ces Contes pour Noël pas racontables, pour vous remercier de me lire et même de me relire. Grâce à vous, je sais que je n'écris pas pour mes tiroirs.

Ces contes n'apparaissent pas en ordre chronologique. En fait, il n'y a pas d'ordre, comme d'habitude. Vous prenez ce que vous voulez au moment qui vous convient le mieux.

À votre droite, il y a un petit menu déroulant qui vous permet de sélectionner chaque conte, titre par titre.

Vous pouvez bien sûr laisser vos commentaires, sauf si vous m'envoyez chier.

Mon blogue régulier vous attend au retour des Fêtes.

Joyeux Noël!

POUR TOUS CEUX ET CELLES QUI NE CROIENT PAS AU PÈRE NOËL

Vous avez vu la gueule du Père Noël? C'est l'un des avatars de Zeus, Jupiter et Sérapis. Père Noël qui fait revivre le paganisme et oublier Jésus. À quoi bon la crèche, le boeuf et l'âne? Le peuple a choisi Père Noël comme de tout temps il a choisi le dieu barbu. Même Michel-Ange ne fit rien d'autre que de peindre le Père Noël quand il vint pour représenter Dieu dans la fameuse chapelle Sixtine. Il a peint Zeus peut-être sans le savoir. Ce qui fait que le christianisme est disparu autour de 2012 pour ceux qui ont eu accès aux Livres.

Quoi qu'il en soit Père Noël était là pour rester. Ce sont plutôt ceux et celles qui ne croient pas en lui qui devaient fatalement partir. Des temples à Père Noël s'élevèrent partout dans le monde, de Toronto jusqu'à Alexandrie. Un nouveau culte rappelant celui des grecs et des romains prit forme. Ce fût le retour de Zeus-Jupiter-Sérapis sous la figure de Père Noël. On le célébrait quatre fois l'an, aux changements de saison. Et tout devait passer par Lui ou ses Lutins. Toute forme d'incrédulité face à Père Noël était pourchassée par les Lutins, bien entendu. Les coupables passaient de mauvais quarts d'heure et on leur confiait des travaux dégueulasses avec la chaine et le boulet aux pieds.

J'écris ces mots en l'an de grâce 2154 de l'ère noëllienne. Peu de gens savent qui est Jésus, Zeus, Jupiter et Sérapis. Sinon ceux qui ont lu les Livres, comme moi et si peu d'autres, puisque plus personne n'a réellement besoin de savoir lire avec les nouvelles technologies télépathiques. Très peu réussissent à s'ériger des barrières psychologiques suffisamment fortes pour résister aux pressions des Lutins du Père Noël, jeunes miliciens élevés très tôt à vouer un culte à Père Noël et à le servir dans ces sales besognes.

Pour me prémunir des Lutins, je lis autant que faire se peut les Livres que Père Noël refuse de nous faire lire, sachant trop bien qu'on y découvrirait toute l'absurdité de ce mythe, corollaire d'une révolution qui mettrait fin à son régime despotique et redonnerait la parole au peuple.

Nous sommes trop peu à ne pas croire en Père Noël et ses serviles Lutins. Nous nous réunissons dans les catacombes de cette culture grotesque tous les vingt-cinq décembre pour nous recueillir dans le silence, histoire de trouver la force et la détermination pour mettre fin au mythe de Père Noël.

Non, le Père Noël n'existe pas!

Vive la liberté de penser!

Vive la liberté de ne pas croire!

S'ils découvrent ça, je suis cuit. Lisez vite ce billet et détruisez-le. Je ne veux pas finir dans un camp du Royaume du Père Noël, dans le Nord du l'ancien Canada ou bien en Nouvelle-Sibérie. Je grelotte. J'ai trop froid aux doigts. Etc.

UN CONTE DE NOËL PAS RACONTABLE

Ça se passait le 25 décembre, évidemment. En quelle année? Alors ça, je ne le sais plus. Je me souviens seulement qu'une neige fine était tombée pendant le réveillon. Cela conférait à ce matin de Noël un air de féérie. Ce décor urbain généralement fade et sans goût était magnifié par des tons de blanc et de bleu très très pâle.

Le soleil perçait au-dessus de la brume qui s'élevait de la voie maritime du fleuve Magtogoek (anciennement Saint-Laurent). La neige soulevée par la bise scintillait comme des tas de petits miroirs réfléchissant des tons de jaune pâle et d'orangé, que je crois propre à ma vision de daltonien. J'obtiens une note de 0 sur 16 pour le vert. Il me reste surtout les couleurs primaires: le bleu, le jaune et le rouge. Quand je décris les couleurs, je sais que ce sont pas celles que tout le monde voit. Par contre, je ne vous raconterai jamais un gazon vert. Ce qui fait que les contes de Noël sont à la pleine mesure de mon intelligence des couleurs.

Doncques, je déambulais sur les trottoirs qui n'étaient heureusement pas encore déneigés, ce qui permettait de me rendre compte que les piétons et les daltoniens se font rares le jour de Noël.

D'une digression à l'autre mon cerveau se concentrait sur le vide, encore que je sifflais probablement une chanson de Noël parce que je suis un gros con influençable.

Tout allait bien, c'était merveilleux et tout le saint-frusquin.

Mais voilà qu'un barbu avec une calotte de trucker m'aborde. C'est un bonhomme dans la cinquantaine qui ressemble à Capitaine Haddock comme je ressemble à Shrek avec des cheveux. Une légère dissemblance. Mettons que je suis plus beau que ça. Enfin, Capitaine Haddock me tombe dessus comme si l'on se connaissait depuis Adam et Ève.

-Tabarnak! qu'il me dit sans plus de préambule. Y'est sept heures et demie du matin pis v'là qu'mon propriétaire bûche dans 'es escaliers en face d'la f'nêtre de ma chambre pour m'réveiller saint-cibouère-de-calice! Check-lé bûcher dans 'es escaliers c'te vieux christ-là! Juste icitte, hostie, le jour de Noël saint-chrême!

Capitaine Haddock me pointe du doigt son proprio qui déglace rageusement ses escaliers avec une petite pelle de fer. Bing, bang, bang, le proprio bûche en saint-chrême, effectivement, pour un 25 de décembre.

-Sûr qu'i' l'fait exprès le vieux sacrament! Juste pour me faire chier! Après ça, i' vont dire que j'mets 'a musique trop fort chez-nous e'l'soir quand je r'viens d'ma tournée des bars... Ben qu'i' mangent d'la marde! Moé j'paye mon loyer pis j'veux du service pis du respect saint-christ-de-tabarnak! Do you feel like we dooooo? qu'il chante pour conclure.

Qu'est-ce que je lui ai répondu? Franchement, que répondriez-vous à un hostie de trèfle comme lui?

-Bon, ben, Joyeux Noël tout d'même, m'sieur! que j'ai dû lui dire.

-Ouin, ben, toé 'ssi. Moé, c'est Henri. Henri Grenon. J'suis un fan de Peter Frampton.

-Moé c'est Guétan. Guétan Bouchard...

-Ah oui? Le patineur de vitesse? Ha! Ha!

-Non, lui c'était Guétan Boucher.

-Ah. En tous 'es cas, bonne journée mon Guétan!

-Toé 'ssi Henri.

Henri a poursuivi son chemin et moi le mien.

Le proprio qui bûchait dans les marches de l'escalier me regarda de travers quand je suis passé devant lui. Il m'a  fait une hostie d'face de pitbull et n'a pas répondu à mes salutations ni à mon joyeux Noël.

Je ne lui en ai pas voulu. À sa place j'aurai fait comme lui avec ce voisin désagréable qui se permettait de réveiller tout le monde au milieu de la nuit avec sa musique de brosseux. J'aurais déglacé l'escalier avec un pic à glace pour le sortir de sa torpeur, le tabarnak, quand y'a du monde qui travaille le matin, même le matin de Noël, et qui veulent dormir saint-étol-d'hostie!

Je sais, je sais. Il y a beaucoup trop de sacres dans tout ce que j'écris. Est-ce de ma faute si j'écris ce que j'entends? Je ne suis pas greffier, sacrament, mais écrivain. Et pas nécessairement le plus brillant de ma guilde.

Allez en paix, mes frères et soeurs. Et respectez vos voisins tabarnak. Peter Frampton tous les soirs, à trois heures du matin, ça n'a pas de calice de bon sens.

LE TEMPS ÉTAIT UN PEU FRISQUET


La nuit était tombée sur le pays de la nation Crie. Les Iyéyous, les «vrais humains» comme ils s'appellent entre eux, pouvaient dormir à poings fermés ou jouer à leurs jeux vidéos préférés, là-bas à Moose Factory, Chisasibi, Eastmain, Waskaganish, Chibougamau. Ah! C'est que les Cris n'étaient plus ce qu'ils étaient, selon le vieux Tom.

-Wachiya! Ta-n(i)si ! qu'il disait ce soir-là dans son cibi à son cousin William, trappeur du lot jouxtant le sien, un vieux Cri, lui aussi, ce William, tout fin seul dans sa cabane en panneau de bois contreplaqué à mener la vie comme d'autres la menèrent bien avant eux.

Ces deux-là, Tom et William, c'était vraiment des irréductibles du mode de vie traditionnel. Ils passaient trois semaines dans le temps des Fêtes à Chisasibi et y revenaient vers le mois d'avril, jusqu'en août, le temps que les bois ne soient plus infestés de maringouins et de mouches noires. Ils avaient tous deux le même âge. Soixante-dix-sept ans. Et au lieu de crever dans un foyer, ils préfèraient finir leurs jours dans le bois et si possible y crever un jour.

-Monana'ntow. Ki-n'a ma'ka? répondit William, seul comme un Cri dans sa cabane remplie de provisions pour l'hiver et dotée d'une bonne guitare. La guitare pour qu'il puisse fredonner quelques airs cris de sa composition sur des accords pas trop difficiles.

Ils détestaient tous deux tout ce temps encabanés en communauté à Chisasibi, l'été et dans le temps des Fêtes. Ils se sentaient moins prisonniers dans leurs petites cabanes ou leurs mitogans, plantés ça et là pour la chasse, la pêche ou la trappe.

Ils étaient heureux d'être dans le bois, parmi les loups et les lagopèdes.

-Kisina-w... rajouta Tom.

Y'avait rien d'autre à rajouter en fait.

La nuit était froide et il neigeait.

LE REEL DES P’TITES PATATES


Le reel des p'tites patates c'est le reel des reels pour Gédéon Baril et quand vient le temps des Fêtes il jubile à l'idée qu'il pourra le jouer devant tout le monde comme il le fait tous les ans depuis quatre-vingts ans bien sonnés.

Le reel des p'tites patates, Gédéon l'a appris de son grand-père, Théosphase Baril, qui l'avait lui-même appris de son grand-père Checagou, un Algonquin aussi surnommé Oignon-Sauvage.

Gédéon a maintenant quatre-vingt-douze ans. Il est petit, un peu bossu mais entêté comme un Paganini. C'est le quatre-vingtième Noël qu'il va jouer le reel des p'tites patates sur son violon toujours désaccordé.

En quatre-vingts ans, Gédéon n'a jamais été capable de vraiment accorder son violon.
Gédéon a toujours joué faux. Jamais un son harmonieux n'est sorti de son instrument, sinon un vulgaire couinement qui ne l'empêcha jamais de persister dans sa passion. Ce qui fait qu'il vécut presque toute sa vie en retrait, dans le fin fond du rang des Bretelles-à-Méo, à Saint-Athanase-de-Brandon. L'hiver, on ne déneige pas dans ce rang-là. Et l'été, le facteur ne sait pas où ça se trouve.

Suite à son dernier pontage, Gédéon vit maintenant au Foyer Le Sourire, au village, sur la rue principale, juste à côté de la pharmacie.

Gédéon est nerveux. Il va jouer à une heure et demie, cet après-midi, dans la salle de bingo.

-Allez-vous jouer Le reel des p'tites patates comme l'an passé? lui demande justement l'infirmière, Rachelle, une belle madame gentille avec les p'tits vieux.

-Çartain! de répondre Gédéon en lui montrant son violon qu'il nettoie minutieusement pour sa prestation qui commence dans quelques minutes.

Une dernière cigarette. Le coeur de Gédéon pompe à tout rompre. Il se remémore les temps forts du reel des p'tites patates, une dernière fois, avant que de leur livrer la prestation de sa vie.

Une heure et demie. Louis, le préposé, vient chercher Gédéon et l'emmène en chaise roulante à la salle de bingo où tout le monde est réuni pour un petit party de Noël entre intimes. Mademoiselle Blanche est là et lance un sourire à Gédéon qui le lui renvoie. Monsieur Hudon est là aussi, avec de la glaire sur ses pantalons, comme d'habitude. Tout le monde y est quoi.

C'est Rachel qui fait la présentation.

-Et maintenant, mesdames et messieurs, écoutons tous Le reel des p'tites patates interprété par le violon de Monsieur Gédéon Jidi Baril!

-Enwèye Jidi! de hurler Mademoiselle Blanche.

Et là Gédéon laisse glisser son archet comme s'il découpait des tomates avec une lame extrêmement tranchante. Et pour une fois, le voilà qu'il joue juste. Ce n'est plus Le reel des p'tites patates qu'il sue de peine et de misère à jouer depuis tant d'années. Oh que non! C'est le vrai reel des p'tites patates, celui qu'il avait appris de son grand-père, Théosphase Baril, qui l'avait lui-même appris de Oignon-Sauvage, alias Checagou, son grand-père algonquin.

Et son reel s'étend dans le temps. Et c'était comme si le feu avait pris dans la salle. Tout le monde sautait, trépignait, giguait. Pour une fois, Jidi jouait juste. Pour une fois, on y croyait presque à son foutu reel des p'tites patates.

Il donna son dernier coup d'archet, salua comme un artiste et se retira la tête bien plus haute que jamais elle ne l'avait été auparavant. Il avait joué juste. Et il était ému, Jidi. Ému d'avoir aussi bien joué son reel des p'tites patates...

LA VRAIE HISTOIRE DU PÈRE NOËL

Le Père Noël, c'était le surnom de Léon Noël à l'usine. Et pas seulement à l'usine, mais aussi dans sa famille, aux parties de quilles et au dépanneur.


-Sais-tu c'est qui lui? se disait tout un chacun en lançant des regards complices à gauche et à droite.


-Non? C'est qui qu'il est lui don'-là?


-Lui? Voyons! Tout l'monde sait ben que c'est l'Père Noël, Léon Noël, ha, ha, c'est un bon jack qui travaille à 'a shop de Ti-Dré Labonté, au Cap, y'où'sse qu'i' font d'aluminomme pis des canettes.


-Ah. Pis i' s'appelle Noël, hein?


-Ben c'est ça qu'i' est l'pire.


-E'l'Père Noël, hostie!!! Est bonne, hein?


-Ouan.



***



Le Père Noël ne pouvait même pas s'enlever ce surnom à la maison. Ça se gaussait de lui comme s'il ne comptait pour rien.


-Ha! Ha! Léon e'l'Père Noël! Ha! Ha! qu'i' disaient les saint-sacraments.


-Èye! Vous pourriez-ti pas jusse m'appeler Léon des fois, hein?


Ben non, ils l'appelaient tous le Père Noël, sa femme et ses huit enfants, trois gars, cinq filles.

Même le chien semblait l'appeler le Père Noël.


Et le lendemain, à l'usine d'aluminomme, c'était pareil. Ça recommençait. Père Noël parci et Père Noël parlà. De quoi mettre son homme en tabarnak.


***


Il neigeait cette nuit-là et quand il neige la ville est belle.


C'était la nuit de Noël. Eh oui. Et Léon Noël en avait son voyage de son surnom.


Il choisit cette belle nuit de Noël pour mettre un terme à cette fâcheuse manie qu'avaient les gens de l'appeler Père Noël.


-C'est fini! Calice que c'est fini! qu'il disait alors qu'il montait sur le toit de sa maison pour déplier une toile jaune fluo marquée de grosses lettres noires en caractères Arial gras: JE M'APPELLE LÉON THE BRAIN NOËL TENEZ-VOUS LE POUR DIT!


Ça jurait dans le décor mais c'était bien droit et les lumières de Noël étincellaient quoi.


-Y'est rendu fou calice! trouva à dire sa femme.


-Pa, demanda Natacha, la plus petite, Pa i' veut qu'on l'appelle Léon The Brain Noël? Pourquoi m'man?


Franchement, il n'y avait rien à redire. Le gars était juste écoeuré de s'faire appeler Père Noël bicozze son vrai nom, Léon Noël. I' s'est tanné. Ben entendu. Pis d'mandez-moé pas c'qu'i' est devenu. Ça, je l'sais pas.

LA BEAUTÉ EST ÉPHÉMÈRE


La beauté est un besoin tout aussi viscéral que le manger et le boire. Évidemment, il n’est pas donné à tout le monde de le comprendre. Ceux qui ont faim et soif finissent généralement par concentrer toutes leurs pensées sur leur estomac. Mais les autres, qui peuvent aussi avoir faim et soif à l’occasion, en viennent tout de même à faire de la beauté un besoin qui touche tout autant aux viscères. « Qui prend aux tripes » comme on dit.

Réjean avait besoin de beauté et le mois de novembre, si triste avec ses arbres dénudés, s’y prêtait tout à fait.

-Ça, j’suis sûr que ça va ramener d’l’espoir dans ‘a maisonnée!

« Ça », c’était une grosse boîte qu’il n’était pas si facile d’embarquer dans la valise du taxi.

-Qu’est-cé « ça »? demanda Francine, la conjointe de Réjean, quand elle le vit sortir du taxi avec sa grosse boîte qu’il peinait à ramener vers le logis.

-Comment ça va mon amour? répondit malicieusement Réjean tout en rentrant la boîte.

-Ça va, ça va… Mais veux-tu bien m’dire qu’est-cé ça c’te grosse boîte-là?

-Ça, bébé, c’est d’la beauté… la magie de Noël!

Et la magie de Noël, c’était une énorme masse de plastique rouge et blanche qu’il suffisait de gonfler pour qu’elle se transforme en superbe décoration de Noël : un bonhomme de neige dans une bulle qui reçoit des morceaux de styromousse en pleine gueule comme s’il neigeait, grâce à un procédé ingénieux qu’il serait fastidieux de vous expliquer ici. Disons seulement qu’on en voit un peu partout de ces grosses boules de Noël et autres bidules gonflables du Temps des Fêtes : Père Noël, Fée des Étoiles, lutins et autres rennes au nez rouge.

-Wow! C’est une grosse boule ça! ajouta Francine quand le bidule fût gonflé et installé sur le perron avant par une belle journée ensoleillée de la mi-novembre.

-Nos voisins vont nous envier! poursuivit Réjean. Regarde comme c’est beau!

En fait, personne ne les envia et presque tout le monde trouva que c’était de mauvais goût. «

Ça fait béesse! » prétendirent quelques drôles.

Les jours et les semaines passèrent. Francine et Réjean finirent par se chicaner à propos de la boule géante. Elle avait coûté trop cher pour rien, aux dires de Francine, et tout ce bel argent aurait dû être investi dans la nourriture plutôt que dans la décoration.

-C’est toujours comme ça Réjean! hurla Francine par un jour pluvieux de la mi-décembre.
T’achètes toutes sortes de cochonneries pour rien pis après il ne nous reste plus rien à manger! Ça s’mange pas une boule gonflable tabarnak!

-Toé, hurla Réjean, tu penses ben rien qu’à manger! Faut qu’la vie soye belle un peu me semble!

-Tiens! Calice! M’a t’la péter ta bulle! cria de plus belle sa conjointe en plantant une paire de ciseaux dans la toile de plastique, ce qui eut pour effet immédiat de faire fondre le bonhomme de neige artificiel.

-Ah oui? Puisque c’est comme ça, je m’en vais! Je te quitte! cria Réjean, dépité devant tout ça.

Les jours passèrent. Et les camions de déménagement aussi. Tant et si bien que le logement de Francine et Réjean devint complètement vide le 21 décembre, à quelques jours de Noël.
Tout avait été ramassé, sauf la bulle dégonflée, sale et poussiéreuse, qui s’était lamentablement échouée sur le perron parmi d’autres détritus.

La beauté, voyez-vous, est toujours éphémère.