vendredi 24 décembre 2010

LA VENTOUSE

L.T.E. Incorporé est une entreprise qui produit des coupe-ongles professionnels pour le marché polonais. Plus de huit cents employés y travaillent, dont Nancy. Nancy n'était pas nécessairement laide, mais sa timidité excessive avait fortement marqué ses traits pour y enlever toute forme d'attrait. Elle avait l'air tellement matante, malgré ses vingt-huit ans, qu'on lui donnait l'âge d'aimer la programmation musicale des radios commerciales les plus guimauvesques.

Sauf qu'au premier party de Noël de la compagnie, tout le monde connut une toute autre Nancy... La fille timide est morte ce soir-là. Le papillon est sorti de son cocon et a enfin déployé ses ailes.

Laissez-moi vous raconter.

Nancy a commencé par boire une petite coupe de vin et comme personne ne lui parlait, elle en a bu une deuxième puis une troisième. À la quatrième coupe, elle était capable de dire bonsoir à ses collègues de travail sans trop trembler de timidité, mais n'en conservait pas moins ce petit rire imbécile qui dissimulait mal ses inhabiletés sociales.

-Bonsoir... hihi... haha... Bonsoir... qu'elle disait.

Elle a bu deux ou trois autres coupes et, comme elle ne buvait jamais, ça lui a monté à la tête.

-Bonsoir tabarnak! qu'elle disait à tout un chacun. Bonsoir mes hosties d'têtes d'oeuf de sacrement!

Ça allait de mal en pis. Elle était seule sur la piste de danse et se démenait comme une bacchanale lubrique sous l'oeil nerveux des mâles qui s'émeuvaient pour la première fois de cette timide Nancy qui, avouons-le, avait tout de même des gros totons et un cul de plus en plus invitant.

C'est là que tout s'est mis à dégringoler. Nancy a calé d'un trait plusieurs autres drinks que les mâles malicieux lui tendaient, souhaitant qu'elles tombent entre leurs griffes. Ce qui se produisit une heure plus tard où, saoule raide, Nancy termina son party dans les toilettes des hommes à sucer tous les gars qui le voulaient bien.

-M'a toutte vous sucer mes hosties d'tabarnak! Emmenez vos queues mes calices!

Et là, Nancy suça et suça encore, des queues en veux-tu en v'là. Sans capotes. Le sperme des uns se mélangeant à celui des autres. Et les gars qui venaient de gicler encourageaient les autres en tapant des mains et en criant «Ventouse! Ventouse! Ventouse!»
Ouais. Elle les a tous sucer, sauf moi. Elle a bien voulu me la sucer mais j'ai décliné fermement l'invitation: je n'aime pas abuser des pauvres filles et je déteste les jeux de société.

-M'a en sucer un autre, c'est toutte! Gros pédé!

Je ne me suis pas formalisé de l'insulte. Et Nancy suça Beaudoin, ce gros hostie de Beaudoin qui n'est pas fort sur l'hygiène personnelle. Puis elle suça Tremblay, Marcotte, Girard, Grimard, Lesage, Lepage, N'Guyen et Macpherson. Elle les suça avec rage en les crossant vite. Et ça gicla, oui ça gicla.

Le lendemain du party de Noël de la compagnie, évidemment, Nancy n'était pas rentrée au travail. Elle se souvenait vaguement d'avoir avalé du sperme toute la soirée. Et la sobriété retrouvée lui ramena aussi sa timidité.

Évidemment, ça ne prit pas vingt-quatre heures que tout le monde dans la compagnie était au courant de l'exploit de la Ventouse.

-Une fille si gênée d'habitude! Pis la v'là qui sucent tous les gars dans les toilettes! Les gars qui faisaient la file devant elle en attendant d'se faire sucer! Maudit qu'les hommes sont cochons des fois! disait une bonne partie des commères.

-A' suce en tabarnak man! Oua! disaient les compères. Toute une ventouse, la Ventouse! Oua!

Évidemment, les gars m'ont tous demandé si je ne regrettais pas de ne pas m'être fait sucer, d'autant plus que cela ne coûtait rien. Que vouliez-vous que je dise à ces hosties de cochons? Que j'trouve ça un peu trop proche d'un coming-out, des gars qui se font sucer en meute par la même pauvre fille trop saoule pour s'en rendre compte?

Bien sûr, la Ventouse est finalement revenue au travail mais ce n'était plus la même Nancy. Elle se mit à boire de plus en plus souvent pour combattre sa timidité. De sorte qu'elle devint même aguichante, féminine et sexy, la Ventouse. Certains en tombèrent même amoureux, dont une bonne moitié de ceux qui s'étaient fait sucer par elle le soir du party. Ils lui trouvèrent tout à coup des qualités intellectuelles et un coeur d'or.

-Est correcte man la Ventouse! Tout l'monde la dénigre ben moé je l'aime! J'sortirais ben avec! lâcha le gros Beaudoin lors d'une pause-café entre les gars de l'entrepôt.

-Même si A l'a sucé tout l'monde Beaudoin? répliqua Gervais.

-Même si... Ouais! Elle a d'l'expérience là-d'dans ben plusse que ben d'autres grébiches!

Gros christ de Beaudoin. Il tomberait en amour avec n'importe quoi.

Et il tomba en amour avec la Ventouse. Et il tomba creux. Il se maria même avec elle qui, en moins de deux ans, lui suça tout son patrimoine: maison, auto, tout. Beaudoin se retrouva dans la rue, avec rien que le cul pis les dents.

Gervais subit le même sort. Et Macpherson aussi. La Ventouse était de moins en moins gênée par sa mauvaise réputation et y trouvait même une certaine fierté.

-Les hommes, qu'elle disait, sont tous des porcs. Avant j'me laissais manger la laine su' l'dos.

À c't' heure quand un homme essaie de m'embobiner, j'le vide hostie! J'le vide jusqu'à c'qu'i' lui reste rien qu'son dentier!

La Ventouse vida une autre coupe de vin, ajusta ses nouvelles lunettes à la Sarah Palin, puis elle regarda quel mec était en train de lui reluquer le cul ou les seins.

C'était le sixième party de Noël de la compagnie depuis le fameux exploit de la Ventouse dans les toilettes des hommes. Tous les gars savaient qu'elle était redevenue célibataire. Et ils se collaient tous sur elle, comme une nuée de mouches, à lui donner des drinks, à la complimenter, à lui proposer une nuit dans un chalet ou un voyage dans les pays tropicaux.

Ouais, la Ventouse avait compris qu'il fallait tenir les hommes par le gros bout du bâton et boire avec modération, l'alcool comme le sperme.

Elle n'était plus timide du tout. Elle savait ce qu'elle voulait: vider les hommes, les vider de tout.

Moralité? Il n'y en a pas. Comme d'habitude.

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